Vivre un accident industriel de l’intérieur, faire face à une crise sanitaire sans précédent, gérer un contentieux complexe, trouver une alternative à un éditeur de logiciel qui dépose le bilan soudainement ou à des contrôles répétitifs de l’administration…
La gestion de crise fait partie des étapes à cocher pour tout bon juriste.
Comment faire face à l’incertitude ? Comment gérer de tels crises ? Et surtout comment en sortir ?
Les juristes que nous avons interrogé ont tous vécus ces événements et nous ont confiés leurs récits. Découvrez leurs expériences.
Vivre un accident industriel de l’intérieur
« Tu vas voir, au sortir de cette crise, tu ne seras ni le même homme, ni le même juriste.»
Ce sont les mots prononcés par l’ancien manager de Nicolas Le Floch, quelques jours après l’incendie.
C’était le 26 septembre 2019.
Il est 2h45, l’usine de Lubrizol brûle et la ville de Rouen se réveillera quelques heures plus tard sous un énorme panache de fumée noire.
L’incendie de l’Usine Lubrizol est l’une des principales catastrophes industrielles depuis l’explosion de l’usine AZF en 2001.
C’était il y a trois ans, Nicolas Le Floch occupait le poste de juriste chez Lubrizol France.
Nicolas nous a confié le récit de cette période sur Paroles de Juristes en commençant, non sans humour, par paraphraser Jacques Séguéla : “Si t’es juriste et que tu n’as pas vécu de crise avant 50 ans, tu as raté ta vie.”
Blague à part, cet événement a marqué la vie professionnelle de Nicolas.
« Je suis réveillé la nuit, je crois qu’on me cambriole mais en fait non…j’ai compris par la suite que c’était des bouteilles de gaz qui explosaient. La première dépêche AFP tombe, incendie à l’usine de Lubrizol. Plus moyen de retrouver le sommeil. Je me dis que je vais perdre mon emploi.»
Le lendemain, Nicolas se rend sur le site Lubrizol du Havre.
Face à son angoisse légitime de perdre son emploi, on lui répond que “s’il y a bien un service qui sera occupé sur les prochaines années ce sera le service juridique”.
Loin du chaos, ce que retiendra Nicolas de cette période sera surtout l’énergie collective.
Une véritable fourmilière. “Il faut imaginer des gens qui circulent à toute vitesse dans les couloirs, énormément d’informations à brasser et à absorber.”
Face à la couverture médiatique de l’incendie, Nicolas a essayé, à titre personnel, de ne pas suivre les journaux ou les réseaux sociaux.
“Quand vous vivez quelque chose de l’intérieur, que vous avez le souci de la précision, vous êtes toujours désolé d’écouter certaines inexactitudes.”
Face à l’ampleur des événements, de la couverture médiatique, de la frénésie de la gestion de crise, Nicolas nous confiait qu’une forme de résilience collective s’était mise en place : “C’est ce qui m’a le plus aidé”.
“Je me souviens de ces déjeuners qui réunissaient tous les collaborateurs, quels que soient les niveaux de hiérarchie dans l’entreprise. Sachant qu’avant j’étais basé dans un bâtiment de 5 étages avec des services par étage. Nous sommes passés d’une verticalisation à un système horizontal total. Que ce soit au sens propre ou au sens figuré. Je me souviens avoir partagé un bureau avec mes collègues d’autres services et nous réalisions que l’information circulait mieux de cette manière, en open-space.”
Mais comment se préparer à ce type de situation ? Si une crise fait partie du lot de tout juriste d’entreprise, est-il judicieux de s’y préparer ? Nicolas nous confiait que ni la fac de droit, ni ses expériences antérieures ne lui avaient appris à faire face à ce genre de crises.
En termes de charge de travail, il y avait évidemment énormément de sujets à traiter et toute l’entreprise était totalement dédiée à cet effort. “Il fallait expliquer les choses à la maison mère de Lubrizol aux Etats-Unis.”
La nature des missions de Nicolas a évidemment changé et s’est adaptée à la nature de la crise.
“On a pas vu le jour pendant 2 ou 3 mois. L’urgence vient à vous naturellement. Peu à peu, mon métier a changé. J’étais Juriste Corporate, avec un périmètre EMEA. La masse des recours, des litiges m’ont transformé en juriste contentieux. »
Qu’est-ce qui l’a aidé à faire face à cette crise ? Se sentir soutenu et encouragé.
“Nous avons reçu un soutien énorme et total de la maison mère avec des messages d’encouragement du CEO que je trouvais admirable. Je les lisais plusieurs fois quand j’avais le moral en baisse.”
L’usine a redémarré partiellement mi-décembre 2019.
“Si on m’avait dit ça le 27 septembre 2019, je ne l’aurais jamais cru. Mais par cette force collective, cette énergie, les équipes y sont parvenues.”
Une période riche en enseignements. La crise qu’on accepte est une aventure. C’est cette phrase de Bertrand Picard que retiendra Nicolas.
Retrouvez l’épisode consacré à Nicolas sur Paroles de Juristes
Faire face à une crise sanitaire sans précédent
Florence Rivat est arrivée chez Evaneos en décembre 2019.
Evaneos, met en relation les voyageurs avec les meilleurs agences locales pour proposer un voyage unique et plus responsable.
En quelques chiffres, Evaneos c’est :
- 160 destinations
- 500 000 voyageurs
- une présence sur six marchés (France, Allemagne, Pays-Bas, Suisse, Espagne et Italie)
A l’époque, Florence était encore à mille lieux de s’imaginer qu’elle allait travailler dans l’un des secteurs d’activité les plus impactés par la crise sanitaire.
“C’est arrivé très vite ! On a du faire notre première réunion de crise fin janvier. Est-ce qu’on avait réalisé l’ampleur de ce qui nous attendait ? Pas vraiment.”
Florence se souvient d’Eric, CEO d’Evaneos, qui lui avait posé cette question : “Qu’est-ce qu’on fait si les frontières de tous les pays ferment.”
Confinement, déplacements limités, fermeture des frontières en France et à travers le monde : Florence, comme nous tous, était loin de s’imaginer que la question d’Eric deviendrait une réalité, quelques semaines plus tard.
“Il faut être réactif, résilient et traiter les sujets étape par étape. J’ai pris les choses comme elles venaient. Au fur et à mesure. J’ai mis dans un coin la feuille de route que j’avais imaginé pour mes premiers mois, il y avait d’autres sujets plus importants à traiter.”
Prendre le goût de sortir de sa zone de confort et constamment se remettre en question : c’est ce qui fait la force de Florence Rivat.
A travers ces 20 premières années d’expériences professionnelles, Florence a découvert des pans du droit avec des angles de vue différents, dans des secteurs différents en mettant au service de chacune des entreprises ce qu’elle a pu apprendre dans les autres.
“Lors de la première réunion de crise, tout le monde s’est retourné vers moi pour me demander : Qu’est-ce qu’on fait de nos voyageurs ? Je n’avais jamais fait de Droit du Tourisme, j’étais arrivée depuis même pas 2 mois et j’avais commencé à me documenter mais je n’avais pas encore pris la mesure du sujet. J’ai demandé un joker et j’ai contacté un conseil qui m’a briefé sur le sujet et qui m’a aidé les premiers jours avant de gagner en autonomie sur le sujet. C’était un onboarding accéléré !”
Comment rendre les équipes autonomes et jusqu’où ? C’est le réflexe qu’a tout de suite adopté Florence.
Face à la production incroyable de nouveaux textes pour faire face à la situation d’urgence sanitaire, il a fallu faire de la veille, alerter les équipes, les former que ce soit les équipes RH sur le chômage partiel, le télétravail ou les équipes métier qui traitaient les questions liées au droit du tourisme.
“Forcément, je n’allais pas répondre à toutes les questions des voyageurs toute seule.” ironisait Florence. « Il fallait évidemment former le service client, leur donner les bons outils pour être le plus efficace et le plus pertinent possible.”
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Florence a créé une FAQ en utilisant Notion.so et en y intégrant progressivement les réponses à toutes les nouvelles problématiques qui se posaient. [/su_note]
La crise sanitaire a aussi été marquée par la généralisation du télétravail et la fermeture des écoles. Les frontières entre vie professionnelle et vie familiale ont été totalement effacées. Florence, comme tous les parents avec des enfants à la maison ont du faire preuve de créativité, de réorganisation pour pouvoir mener leurs journées sans encombres.
“J’ai vécu ce que tout le monde a vécu. Le premier confinement avec 3 enfants à la maison c’était un peu sport. On réorganise son temps de travail au quotidien avec son partenaire. Avec mon mari, on s’est réparti les créneaux différemment. Je me réveillais très tôt et je travaillais de 5h à 9h30. Après je m’occupais des enfants. Puis je retournais travailler quand mon mari s’occupait des repas. C’était assez folklorique. On a tous du improviser !”
Il faut saisir ce qu’il se passe et se dire qu’il s’agit d’une opportunité pour quelque chose.
“Finalement, quand on arrive dans une entreprise pour créer un service juridique et qu’on fait face à une crise sanitaire, c’est une superbe opportunité pour montrer dès le début à quel point le juriste peut être Business Partner, pragmatique, présent et aider tout le monde. C’est une belle opportunité pour mettre en avant le juridique !”
C’est état d’esprit qui a fait avancer Florence et avec elle toute l’équipe d’Evaneos pour faire face à cette crise.
Retrouvez l’épisode consacré à Florence sur Paroles de Juristes
Faire face à un contentieux complexe
“Fausses couches, malformations faciales, déformations testiculaires, cancers, bébés morts-nés… En une semaine, le cabinet d’expertise médical Traces, chargé d’enquêter sur l’éventuelle nocivité des éthers de glycol solvants utilisés à l’usine de production IBM, a déjà isolé une quarantaine de cas suspects”
Août 2020.
Le Parisien, Le Monde, Libération, Les Echos, L’Express : la presse entière s’empare du sujet.
A la tête du contentieux d’IBM, Florence Saint-Hilaire a traité et gagné plus d’un contentieux dans sa carrière.
“Il y a eu des allégations de problème de malformations d’enfants à la naissance de parents qui avaient travaillé sur ces sites.”
Un sujet particulièrement sensible, regardé à la loupe par IBM Corp.
“Ca a été un stress en termes responsabilité. Pour moi, ça n’était plus de l’argent, c’était de l’humain et l’image de l’entreprise qui en dépendait avec beaucoup d’enjeux psychologiques.”
Des sujets lourds humainement et psychologiquement parlant et à la fois passionnants de par le caractère inédit des sujets traités (Chimie, Maladie) pour Florence.
“Ce qui m’a le plus marqué, c’était l’aspect humain des réunions d’expertise avec les parents d’enfants qui souffraient de malformations. J’ai encore le souffle coupé quand on en parle. Il fallait respirer avant et respirer après.”
Face à ce genre de crises, le choix du cabinet d’avocat partenaire est particulièrement essentiel.
“Heureusement j’avais obtenu d’IBM Corp qu’on travaille avec un conseil qui était d’une humanité extrême et qui m’a permis d’assumer ce que je faisais et d’expliquer aux parents que les malformations de leurs enfants n’avaient rien à voir avec leur travail.“
Entrer dans l’intimité des gens, remettre en cause leurs certitudes, vivre leurs drames familiaux, c’est ce qu’a du faire Florence et son équipe le temps d’un contentieux.
“Personne ne leur avait expliqué d’où venait les problèmes de leur enfants et ils pensaient avoir trouvé la réponse. Et on leur annonçait le contraire.”
Florence et son équipe s’étaient appuyés d’un médecin spécialisé et d’un expert pointu dans le domaine.
L’émotion de Florence était palpable lors de son passage sur Paroles de Juristes.
“Sur le plan humain c’était compliqué. Il y a des juristes qui font ça toute la journée mais nous ça n’était pas du tout notre cœur métier. On était dans le dur, l’informatique, le logiciel. Je pense que c’est cette humanité que j’avais et qu’avait l’avocat qui nous conseillait qui nous ont fait gagné ce dossier.[..] Pour moi c’était émotionnellement très fort.”
Retrouvez l’épisode consacré à Florence sur Paroles de Juristes